Analyse - Photo de Nadia Lee

par Artsmette  -  #analyse, #critique photo

Analyse - Photo de Nadia Lee
Nadia Lee Cohen
1 - Technicité :
Un plan d'ensemble dans lequel se tient immobile une femme au centre de la photo. Cette femme que l'on découvre à travers le pare-brise d'une voiture est photographiée en plan américain. Elle occupe pratiquement toute la hauteur de l'image si ce n'est un petit espace au-dessus de la tête et l'espace du capot an bas de l'image. Une place importante est accordée aux hors-champs : un deuxième personnage, à droite de la photo, n'est suggéré que par l'avant-bras et la main qui tient quelques dollars ; le capot de la voiture dont on ne saurait donner la marque ; le lieu, un virage d'une route à deux voies bordant une vallée. L'image est construite sur des courbes : celles de la double ligne continue jaune, celle du bord de la route, celle du rail de sécurité, celles des méandres orange de la robe, celles de la chevelure et, enfin, la courbe du bras tenu à 90°. Quelques lignes droites généralement du mobilier routier, des poteaux. Le modèle répond à ce groupe de lignes par sa pose rigide, on pourrait pratiquement tracer une verticale du dos aux fesses. La courbure de la route nous entraîne vers la gauche, l'échange de billet vers la droite. Au centre la femme. Comme une aiguille entre deux plateaux d'une balance.
L'arrière-plan et le premier-plan ont des teintes équivalentes : un bleuté verdâtre à la limite de la surexposition. La couleur complémentaire orange dominante du personnage (méandres de la robe et verres des lunettes de soleil) détache la femme du reste de l'image. D'où vient la lumière ? le capot nous dit du dessus ainsi que la luminosité du dessus du crâne et l'éclairage de l'avant-bras de la personne hors-champ à droite. Serions-nous proche de midi, le soleil au zénith ? La femme serait alors éclairée par le reflet du soleil dans la carrosserie et le pare-brise.
2 - Interprétation :
Image narrative par excellence. On a l'impression d'être projeté dans un polar des années 60 ou 70, une sorte de "Bonnie and Clyde". Nous serions le Clyde Barrow observant depuis l'intérieur d'un cabriolet une transaction. Mais à quel instant sommes-nous ? Bonnie reçoit-elle de l'argent ou vient-elle de remettre l'argent à une tierce personne ? Nous ne le saurons jamais. A nous de construire l'avant et l'après au gré de nos humeurs. On pourrait trouver ce genre d'image dans une BD, une vignette d'un scénario.
Les photos de Nadia Lee proposent souvent des modèles figés (beaucoup de femmes, peu d'hommes, parfois des couples) à un moment M d'un événement qui nous est et restera inconnu. Par ailleurs ses modèles semblent faits en plastique (des sortes de Barbie déshumanisées), les visages sont lisses, pas de rides, les couleurs un peu surnaturelles avec des brillances de poupées celluloïd. Bien souvent aussi les regards sont vides, inexpressifs. Ils nous regardent rarement comme en dehors de notre temps, de notre monde.
Ainsi la première impression créée par le choix des teintes bonbons acidulés entraîne à sourire puis vient une sorte de gêne, quelque chose dérange, la scène semble fausse, le monde devient quelque peu inquiétant. Nous en sommes exclus, tenus à distance, relégués au rang de voyeurs, par le dédain des personnages. Dédain est sans doute exagéré, disons simplement leur désintérêt. Nous ne faisons pas partie de leur histoire. Et pourtant nous sommes pris d'une envie irrépressible de regarder jusqu'au bout.

Avril 2015

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