Analyse - Photo de Ayesta et Bression
Carlos Ayesta Guillaume Bression No go zone
1 - Technicité :
Une photo d'un plan large construite sur un point de fuite central.
Dans un réseau de lignes obliques conduisant à ce point, quelques éléments verticaux (supports de pubs, pubs, verticales du mobilier...).
Une femme poussant chariot apporte une touche de vie. Mais la femme est figée. Elle se tient droite, visage tourné vers les frigos situés sur la droite de la photo. Cette femme au chariot se trouve à égales distances des rayonnages de droite et de gauche. Elle, semble s'interroger sur ses achats : son regard se porte sur les rayons de droite, le chariot part sur ceux de gauche. Un "grand écart" qui, graphiquement, casse la rigidité du décor et, qui, symboliquement, renforce sa perplexité.
C'est une image contrastée. Mise à part la zone centrale, les couleurs sont ternes et sombres. Les touches de couleurs proviennent des publicités, affichettes prix et, bien entendu, des vêtements de la femme.
Une lumière provient du plafond dont on ne sait pas s'il s'agit d'un plafond de verre ou plexiglas à lamelles ou d'un ensemble de néons avec des lamelles diffuseurs (on peut supposer que dans ce magasin, il n'y a plus d'électricité, ce qui nous ferait pencher pour la première solution). Un "coup" de flash vient éclairer la scène afin de "déboucher" le personnage central.
2 - Interprétation :
Dans leur série "Revenir sur nos pas", les 2 photographes ont convaincu des habitants évacués après la catastrophe nucléaire de Fukushima de revenir dans leur ancien cadre de vie. Cela donne des images surréalistes.
Peut-on de nouveau vivre dans un univers dévasté ? Cette femme revient dans une grande surface qu'elle a dû fréquenter par le passé. Dans cet univers de la consommation, que reste-t-il ? Les produits ne sont plus consommables, l'endroit est abandonné, laissé en l'état, le sol sale est jonché de détritus.
Ce qui fait la force de la série, c'est l'attitude des personnages : on aurait pu présenter une femme en pleurs, les mains devant le visage, une longue plainte sortant de sa bouche... Rien de tout cela. Ce qui frappe dans cette photo c'est la sérénité de cette femme. Le calme au centre d'une tempête. La présence terrible du chariot nous dit que cette femme était entrée avec l'espoir d'y refaire ses achats, de croire que la vie d'avant pouvait reprendre.
Le chariot reste et restera vide : il n'est pas possible de reprendre le cours des choses comme si rien ne s'était passé. En restant au centre de l'allée, cette femme le sait bien, elle n'ose s'approcher des rayonnages, elle n'ose s'avouer que c'est bel et bien fini.
Fini ? Pour le moment sans doute, pour combien de temps ? Nul ne sait.
Les "mises en scène" de la série "No go zone" nous renvoient à notre humanité qui rêve (heureusement) qu'un jour peut-être... et qu'il faut continuer à espérer.
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